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Vassilis salpistis : le monde au-delà des limites de l'épiphénomène

Il est encourageant de constater comment un jeune artiste, qui a confirmé dès sa première exposition sa force stochastique et sa puissance expressive, continue à faire évoluer son œuvre selon une ligne de recherche stable, avec comme seul critère la création et non pas les sirènes d'un succès éphémère. C'est le cas de Vassilis Salpistis, un jeune artiste qui se distingue à Paris, et dont la deuxième exposition individuelle est accueillie de nouveau par la galerie de Yerassimos Kappatos.

Dès sa première apparition dans la scène artistique grecque, nous avions constaté dans son attitude un scepticisme constructif ; Salpistis utilise essentiellement la technique représentative face à la réalité — par hypothèse — représentée, et face à la potentialité même de sa technique, en conduisant par sa recherche les conséquences de ce scepticisme à ses limites. Des limites qui s'étendent constamment au-delà de l'épiphénomène et qui s'enrichissent grâce à l'immersion profonde dans l'ontologie des objets eux-mêmes, grâce au changement de leur rôle au sein des « jeux » wittgensteiniens de la réalité vécue qui transforment constamment leurs règles, et qui, par la transposition de ces limites, transforment aussi le sens et notamment la perception du monde.

Les peintures de Salpistis réussissent exactement ceci : désigner les objets au-delà des limites du regard conventionnel, comme un fait qui existe d'une part, mais qui est couvert par le regard paralysé (comme la poule de Kirchner) dans le cercle de craie. On pourrait dire, toujours selon Wittgenstein, que Salpistis nous conduit à penser les différences et non pas les ressemblances. Car chaque ressemblance, semble-t-il dire, dépend de la manière dont on nomme les choses. Et lui, il supprime de manière décisive la signification de la ressemblance, soit à travers la peinture figurative , soit à travers son enregistrement par la vidéo. Salpistis, avec un sens profond incomparable, nous fait observer que dans le caractère autographique persistant de la représentation (qui concerne les faits et les choses), surgit et s'installe simultanément un autre caractère, allographique, qui désigne les objets idéaux. Or, il s'agit d'objets qui, malgré leur existence irréelle, ou sous-entendue, ne peuvent être falsifiés ; en revanche, ils peuvent se multiplier par leur création artistique et leur acceptation grâce à l'art. Plus particulièrement, ces éléments allographiques spéciaux, qui dérivent des autographiques par une mitose ontologique multipliée, réussissent à maintenir leur propre identité contre l'identité matérielle des autographiques. Salpistis constate que la ressemblance est tout simplement un dérivé qui, comme note aussi N. Goodman, dépend des habitudes et de la culture. Pour cette raison, les jugements sur la nature et la signification picturale d'un symbole, ou la fidélité de la représentation d'un objet, peuvent se transformer sans que le symbole lui-même se transforme.

D'ailleurs, d'après A. Meinong, les objets « inexistants » ou idéaux existent dès que l'on parle d'eux, et parfois (comme par exemple la licorne) par la représentation, nous leur accordons une validité ontologique — obtenant ainsi la défaite définitive de Diodore Cronos en lui démontrant que ce qui n'existe pas peut exister, et que ce qui ne s'est pas passé est vrai, dérivant du processus (hyper) logique de sa réduction sémiologique dans le monde réel et à travers la validité de l'expression langagière (et non pas linguistique). Car les œuvres d'art, comme tous les objets symboliques en général, n'échappent jamais au Sosein meinongien (l'être-tel), ni à la transcendance simultanée et la persistance qui les caractérisent.

De plus, il est évident que l'idée de la multiplicité des versions du monde de Goodman est un des points de départ de l'œuvre de Salpistis. Par analogie avec l'idée kantienne de la construction du monde mental par le sujet, la perception de la construction de ces versions du monde valide le rôle des variations de la réalité dans l'art. Et les variations ne peuvent jamais faire partie du monde car elles peuvent contenir des éléments dont il ne dispose pas ; pourtant, elles ne pourront jamais être supprimées comme étant inexistantes ontologiquement. Et notamment, dans l'œuvre de Salpistis, nous constatons que deux caractéristiques typiques du monde, l'espace et le temps, n'ont pas de validité formelle — comme dans la démarcation freudienne du rêve où il existe une condensation, une dispersion et une transposition de ses éléments.

Pourtant, ce qui nous semble important dans la technique de Salpistis est l'autoréférentialité de l'artiste qui se perçoit comme le modèle de son œuvre. Une autoréférentialité kafkaïenne qui n'est en aucun cas tautologique ou narcissique. Grâce à son introduction dans l'œuvre, Salpistis essaye de donner une réponse situationniste (instantiated) aux questions multiples que présuppose le processus artistique : surtout sur le fonctionnement, la nature et la relation qu'entretient l'artiste avec l'ontologie et la formativitá (selon Luigi Pareyson) de l'œuvre. Et comme Suor Teodora dans Le Chevalier inexistant d'Italo Calvino, il décide d'entrer lui-même dans le corpus de son œuvre, en le transformant en un Nom Propre comme dirait Saul Kripke, et en maintenant son extension à l'infini et dans toute situation. Dans ce monde absolument valable des espèces artificielles de Goodman (dont les situations/conditions (instances)   sont créées par les artistes), la transformation du thème en Nom Propre (comme pour tout nom, à savoir Vassilis) lui offre simultanément une universalité (à la fois générique et générale) qui entoure le nom (comme idée peut-être) et une spécificité de la personne qui porte le nom ; or, comme l'observe depuis longtemps John Locke, les idées et les noms sont des éléments distinctifs mais aussi synchroniques.

Il ne faudrait pas oublier que la théorie des rigid designators est fondée sur les hypothèses selon lesquelles les objets peuvent établir des relations/activités différentes de celles qui se trouvent à leur origine et que les noms peuvent désigner des objets indépendamment des relations dans lesquelles ils apparaissent. Cela signifie qu'ils obéissent, au-delà de leur continuité logique, à une relation à priori esthétique. Dans ce cadre, la figure de Salpistis fonctionne plutôt comme un quantificateur universel qui rend valide en chaque instance l'acte pictural, qui donne à son acte — et cela est important — non pas une identité de re mais de nome, déterminant ainsi le cadre d'une métaphysique descriptive (selon Strawson), en opposition à une transposition réglementaire et inductive du sens de son œuvre.

Georges-Byron Davos
2008