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Pour Vassilis Salpistis
Quelques souvenirs d’une rencontre à Saint-Étienne, ville des armes et cycles et de
quelques grincements à propos d’un escalier ; évidemment tout ceci pour le lecteur reste obscur.
Mais la première rencontre dont je me souvienne se fit face à une peinture d’un escalier que
je considérais comme montant et dont les marches hautes par un trucage de perspective nous
montraient qu’il ne menait nulle part. Je ne savais pas alors s’il fallait penser ou à une ruse
mélancolique du peintre ou à une malfaçon.
Puis vint une autre peinture faite quelques années plus tard qui éclairait ce doute tout en
brouillant un peu plus les pistes. Deux sphères célestes, un mannequin osseux portant une robe
blanche, et au premier plan un cheval enfantin ; à ce moment là je m’amusais à décrypter un
peu les choses le titre de la toile étant : « A dada » la référence immédiate apparaissait :
« le hobby horse » de Gombrich au premier plan, et les deux sphères se voyaient pour l’une
la mappemonde terrestre et l’autre Saturne quant au mannequin/poupée nous connaissons
le renvoi à la femme impossible à peindre de Degas (« l’homme et le pantin » du Musée
Gulbenkian à Lisbonne).
On voit que chacun de ces éléments distribués sur la surface de la toile dans leurs
redondances nous jette dans les bras de la mélancolie du peintre, la vision à l’instant de la
totalité de la toile interdit ce que la langue ici permet, c’est-à-dire l’énoncé parcellaire et discursif
des éléments clefs/accroche oeil, qui dans leur évidence trop présente bloquent l’interprétation
au profit d’une rêverie échappant à la langue ; de plus, Salpistis renchérit le propos de l’image
immobile par un petit film partant de la toile « finie » pour aller vers la toile vierge inscrivant là,
la durée à rebours.
Le souvenir de ces deux oeuvres me semble être le départ de l’ « ironie » de celles qui
suivent jusqu’à aujourd’hui. Pour moi prendre le moyen de l’écriture, de sa limite, de son
impossibilité à rendre la totalité du vu à l’instant, jouer la durée des mots, s’appliquer à les
rendre juste dans leur description, tant dans la précision du représenté que de la matière
(re)présentant n’est pas de mon goût, d’autres le feront.
La taille de cette oeuvre, de façon perverse par sa pseudo-narrativité, nous met au
silence; les questions venant hors énoncé et inquiétantes par l’impossibilité de les formuler, c’est
là la ruse paradoxale d’un iconoclaste refoulé. Il en rajoute (l’artiste) dans le genre « me, myself
and I » comme ce groupe de musique qui dénonce la bave intimiste ; il va même avec son
« surcroît de métier » jusqu’à l’ «exécution » du sujet peint et du peint.
Les incertitudes enfouies sous tant d’affirmations du bienfait et des clins d’oeil (le fantôme et
sa chaussette plate) me confirme l’anxiété d’être au monde et du métier choisi ; le tout en riant,
d’un rire dont la scansion crée le vide en nous pour aller plus loin. Peut-être comme ce chien
dont le regard voit mais qui ne nous dit rien.
Joël Kermarrec
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